- SCARLATTI (LES)
- SCARLATTI (LES)Famille de musiciens siciliens des XVIIe et XVIIIe siècles, les Scarlatti se sont illustrés principalement à Naples, ce qui leur vaut d’être rattachés habituellement à l’école napolitaine. Parmi eux se distinguent Alessandro, qui fut l’un des premiers grands musiciens classiques, et Domenico, qu’on peut tenir dans une large mesure pour le créateur de la technique moderne du clavier dont l’influence s’étendit jusqu’à Liszt. Par ses opéras, où le grand art du chant (bel canto ou buon canto ) atteint son apogée, Alessandro est de plus l’un des fondateurs de l’école napolitaine: il eut ainsi, indirectement, une influence sur tout le développement de l’opéra italien, dans le sens d’une primauté de l’élément lyrique sur le dramatique. Outre des opéras et quelques œuvres religieuses, on doit à Domenico les célèbres «sonates» pour clavecin. La liberté de l’inspiration et l’exceptionnelle virtuosité instrumentale qu’exigent ces «sonates» en font des œuvres particulièrement «modernes» pour leur temps.La dynastie des ScarlattiLe chef de cette dynastie fut un certain Pietro Scarlata, né à Trapani vers 1630, dont on ne sait presque rien (peut-être descendait-il d’une illustre famille toscane, connue depuis le XIIe siècle).Parmi ses huit enfants, cinq allaient être musiciens: Alessandro (1660-1725) et Francesco (1666-env. 1741), compositeurs, Anna Maria (1661-1703), Melchiorra (1663-1736) et Tommaso (env. 1672-1760), chanteurs. Dans la génération suivante, on trouve encore trois musiciens parmi les dix enfants d’Alessandro: les compositeurs Pietro (1679-1750) et Domenico (1685-1757) et la cantatrice Flaminia (1683-env. 1725). Tommaso eut lui aussi une fille musicienne, Rosa (1716-?), qui fit une très brillante carrière de cantatrice, particulièrement à Venise, et un fils, Giuseppe (1723-?), en qui l’on peut reconnaître le Giuseppe Scarlatti, compositeur d’opéras, mort à Vienne en 1777 et dont on n’est pas parvenu à prouver la filiation. Enfin, un arrière-petits-fils de Domenico, Dionisio Scarlatti y Adalma (1812-1880) contribua à la fondation de l’opéra espagnol à Madrid.Alessandro ScarlattiNé à Palerme, Alessandro Scarlatti fut envoyé à Rome vers l’âge de douze ans avec ses deux sœurs, Anna Maria et Melchiorra; mais on ignore tout de leur première jeunesse et de leur éducation. En dépit d’une tradition persistante, il n’y a aucune raison d’admettre qu’Alessandro ait été l’élève de Giacomo Carissimi, mort en janvier 1674, alors que le jeune musicien, établi à Rome depuis un peu plus d’un an, n’avait pas encore quatorze ans. Ses premières œuvres (notamment la Passion selon saint Jean ) semblent témoigner d’une influence de Giovanni Legrenzi et surtout d’Alexandro Stradella, plutôt que de Carissimi. Selon une hypothèse plus plausible, il aurait été l’élève de Francesco Foggia et de Bernardo Pasquini, respectivement maestro di cappella et organiste de Sainte-Marie-Majeure.En 1678, Scarlatti épouse à Rome une Napolitaine, Antonia Anzalone, et l’année suivante son premier opéra Gli Equivoci nel sembiante est représenté sous le patronage de la reine Christine de Suède, qui prend à son service le jeune musicien et acceptera, en 1684, d’être la marraine de son cinquième enfant. En 1683, il se rend à Naples, précédé d’une excellente réputation, pour y faire représenter ses œuvres nouvelles, notamment Psiche (1683), Olimpia vendicata (1685), Ezio (1686).Devenu rapidement le musicien en vogue dans l’aristocratie napolitaine, il prend part régulièrement à presque toutes les fêtes publiques et privées, compose d’innombrables cantates de chambre et des opéras pour le théâtre San Bartolomeo et celui du palais royal. Il laissera 115 opéras, plus de 600 cantates de chambre, environ 30 oratorios, 60 motets, 10 messes, etc. La plus grande partie de sa carrière fut centrée sur Naples, mais il fit deux longs séjours à Rome (1702-1708 et 1718-1722). Il était allé à Venise en 1707 pour faire représenter deux ouvrages très importants au théâtre San Giovanni Grisostomo: Mitridate Eupatore , qui s’inspire du style des opéras vénitiens, et Il Trionfo della libertà . Cette dernière œuvre lui valut d’être fait chevalier de l’Éperon d’or par le pape Clément XI. En 1708, le nouveau gouvernement du cardinal Grimani (contrôlé par l’Autriche) le rappelle à Naples où il est réintégré dans ses anciennes fonctions: il est alors au faîte de sa carrière.Après son deuxième séjour prolongé à Rome (où il était parti avec un congé de six mois!), il termine ses jours à Naples dans une demi-retraite. C’est alors qu’il reçoit quelques élèves privés, dont Johann Adolf Hasse (1699-1783) qu’il considère comme son fils. L’attribution de nombreux élèves à Scarlatti est une pure invention, liée à sa réputation de «fondateur de l’école napolitaine». Il eut le mérite d’instruire son fils Domenico, mais n’enseigna jamais régulièrement dans un conservatoire. Il mourut à Naples et fut enseveli dans l’église de Montesanto, au pied du Vomero, sous l’autel dédié à sainte Cécile.Alessandro Scarlatti peut être tenu pour un précurseur direct de Mozart. On lui doit la mise au point de l’aria da capo , à reprise ornée, qu’il adopta comme seul type d’air d’opéra (cf. AIR - Musique), et le triomphe de l’ouverture dite «italienne». Inaugurée par Marcantonio Cesti en 1667, ce genre d’ouverture, généralement qualifiée de «sinfonia», se compose de trois parties contrastées, soit, dans l’ordre: vif-lent-vif (disposition inverse de celle de l’ouverture «à la française», cf. J.-B. LULLY). Il fut aussi le maître incontesté de la cantate de chambre, déployant dans cette musique essentiellement intime et raffinée une remarquable virtuosité d’écriture.Les dernières vingt-cinq années de sa vie furent celles des plus grands chefs-d’œuvre dans tous les genres. Dans les plus beaux opéras de cette période (Mitridate Eupatore , 1707, Tigrane , 1715, Cambise , 1719 et Griselda , 1721), le style classique d’opéra est à son sommet; et le délicieux opéra-comique Il Trionfo dell’onore (1718) annonce Mozart. De la même période datent les douze admirables Sinfonie di concerto grosso (1715), qui sont les premiers chefs-d’œuvre de la musique instrumentale classique. Car c’est bien le classicisme musical qui fait son apparition avec Alessandro Scarlatti. Le sens du développement thématique, l’audace des modulations, la sobriété de l’instrumentation, l’intelligence de la forme et le naturel de l’expression mélodique préfigurent le génie de Mozart.Domenico ScarlattiNé à Naples, Domenico Scarlatti étudia avec son père, puis avec Francesco Gasparini (1668-1727) à Venise; il a peut-être aussi suivi l’enseignement de Gaetano Greco (1650-1728) dont il a subi l’influence. En 1701, il est déjà organiste de la chapelle royale de Naples; puis, après un bref séjour à la cour de Toscane avec son père (1702), il fait ses débuts à Naples comme compositeur d’opéras. En 1705, il est à Venise, où se noue une durable amitié avec Haendel, son aîné de huit mois. Un peu plus tard, on le trouve à Rome, au service de la reine Maria Casimira de Pologne (1709-1714), pour qui il compose sept opéras, avant de devenir maestro di cappella de l’ambassadeur portugais et de la cappella Giulia (1715-1719).Après un premier voyage au Portugal en 1720, Domenico est nommé maître de chapelle de la cour de Lisbonne, poste qu’il n’occupe qu’une année. Il quitte, en effet, Lisbonne pour Madrid, où il passe le reste de ses jours comme maître de chapelle de la cour (1729-1757), à la suite de son élève l’infante Maria Barbara, épouse du futur Fernando VI. Pendant sa longue carrière espagnole, au cours de laquelle son existence matérielle fut constamment compliquée par sa passion du jeu, il semble s’être exclusivement consacré à son œuvre pour clavecin, exception faite d’un Salve Regina composé dans les dernières années de sa vie. Il mourut à Madrid.Les célèbres «sonates» pour clavecin n’ont de sonate que le nom; mais chacune des trente pièces du recueil d’Essercizi (1738: première publication de ses œuvres et la seule qu’il ait entreprise lui-même) est déjà intitulée «sonata». On trouve cette dénomination dans toutes les publications ultérieures. Ces courtes pièces, d’une merveilleuse diversité, s’inspirent des genres les plus variés. Pour la plupart, elles sont de coupe binaire comme les morceaux de la «suite»; elles s’en distinguent par la richesse harmonique, la fantaisie dans l’écriture instrumentale (croisements de mains, changements de registre ou d’octave), par l’originalité rythmique et souvent par l’utilisation libre de deux thèmes. Certaines pièces sont écrites à deux voix et comportent un chiffrage de la basse: elles étaient vraisemblablement destinées à un instrument solo (violon ou flûte), accompagné au clavecin.L’attrait permanent des sonates de Scarlatti (qui doivent être jouées au clavecin, non au piano) tient essentiellement à leur liberté, à leur fantaisie et à leur remarquable diversité de style ou d’inspiration. Certaines ont la saveur et la vivacité des musiques populaires d’Espagne (K. 105 en sol maj. ou K. 492 en ré maj.) ou d’Italie méridionale (K. 421 en ut maj. ou K. 519 en fa min.), d’autres fascinent par l’exceptionnelle originalité de l’écriture, notamment sur le plan harmonique (K. 124 en sol maj., K. 119 en ré maj., K. 175 en la min., K. 490 en ré maj.). Parfois leur ampleur déborde largement le cadre de la musique de clavier du temps, annonçant les grands poèmes pianistiques de Liszt (K. 447 en fa dièse min. ou K. 206 en mi maj.).La principale source des sonates de Scarlatti est une collection de manuscrits (non autographes) conservés à Venise et contenant 496 pièces. D’autres manuscrits sont à Parme, Münster, Vienne, Londres, Cambridge... Une réédition moderne de 545 sonates a été publiée à Milan à partir de 1906. Puis, le musicologue américain Ralph Kirkpatrick en a catalogué 555. Les autres œuvres de Scarlatti consistent en quatorze opéras ou intermezzi (dont un seul, Narcisso , nous est parvenu intégralement), quelques œuvres religieuses (dont un admirable Stabat Mater à 10 voix), des oratorios et une cinquantaine de cantates de chambre.De Pietro Scarlatti (1679-1750) on ne connaît que l’opéra Clitarco , représenté, en 1728, au théâtre San Bartolomeo, et quelques toccatas pour clavecin ou orgue.Francesco Scarlatti (1666-env. 1741) a composé de la musique religieuse (dont nous sont parvenus une messe, un Dixit Dominus et un beau Miserere ), des oratorios, des cantates, quelques opéras bouffes en dialecte napolitain.Giuseppe Scarlatti (?-1777) se trouve, en 1747, à Venise où son opéra Pompeo in Armenia est créé au théâtre San Angelo, et où chante la même année Rosa Scarlatti, fille de Tommaso. Quelques mois plus tard, il épouse à Lucca une chanteuse florentine, Barbara Stabili, et fait représenter dans la même ville son opéra Artaserse . Les lieux de représentation des opéras suivants laissent supposer qu’il était fréquemment en voyage dans toute l’Italie (notamment à Venise), avant de s’établir à Vienne.
Encyclopédie Universelle. 2012.